Aujourd’hui je m’intéresse à Hildegarde de Bingen, femme au destin exceptionnel. Thérapeute, médecin, mage, abbesse, herboriste, poétesse, compositrice, Hildegarde de Bingen est une importante figure du XIIème siècle dont les écrits et les partitions ont survécu jusqu’à nos jours.
L’histoire d’Hildegarde de Bingen :
Née en Allemagne en 1098, elle est considérée comme l’une des plus célèbres naturalistes de son temps. Visionnaire depuis sa petite enfance, Hildegarde, devenue religieuse, dut obéir en 1141 à l’injonction d’une voix puissante venant du ciel : « Écris ce que tu vois et ce que tu entends ». Elle sera ainsi l’auteur d’une œuvre immense et variée, directement inspirée par ses visions. Elle présente Dieu comme la vie même de l’univers, son « feu invisible » qui le transcende tout en l’habitant et en lui donnant sa consistance de l’intérieur.
A l’époque, elle est respectée par la qualité de ses visions (étalées sur 30 ans) et son lien direct et puissant avec Dieu.Trois papes successifs ont ainsi écouté ses conseils inspirés, ainsi que l’empereur d’Allemagne Frédéric Barberousse, le roi d’Angleterre Henri II…
Décédée en 1179, Hildegarde fut béatifiée en 1244 par Innocent IV et proclamée Docteur de l’Eglise par Benoît XVI en 2012.
Ses œuvres et son message :
L’oeuvre la plus importante d’Hildegarde est une série de trois livres inspirés où elle décrit les visions et les explications qu’elle a reçues pour les interpréter.
Composition du triptyque :
- Scivias (dicté sur 10 ans entre 1141 et 1150 : trace les bases de la connaissance nécessaire à une vie chrétienne.
- Livre des Mérites de la Vie (écrit entre 1158 et 1163) : apprendre à discerner et à mettre en oeuvre de façon très concrète les vertus et à chasser les vices dans la vie quotidienne afin de pouvoir accéder à la contemplation.
- Livre des Œuvres divines (rédigé entre 1163 et 1173) : offre une vision de l’homme dans l’univers.
Ses visions étaient représentées en enluminures. Ci-dessous un exemple magnifique de l’homme dans la roue cosmique, animant et emplissant l’univers. Cela rappelle l’homme universel de Léonard de Vinci réalisé trois siècles plus tard…
L’unité du corps, de l’âme et de esprit :
Hildegarde rappelle en permanence l’interdépendance entre les différents niveaux de l’être. Soigner le corps sans s’occuper de l’âme ne sert à rien et former l’âme sans prendre soin du corps peut être très dangereux.
Hildegarde de Bingen propose ainsi une vision de l’homme comme « personne » en qui, corps, âme et esprit forment une seule identité. Elle donne les bases d’une véritable écologie de la personne. Ces écrits puisent alors à une connaissance traditionnelle des plantes, des pierres et des animaux. Elle avait ce rapport vivant à chaque chose : elle parle aux arbres, aux pierres, aux animaux…
Dans cette unité – corps, âme, esprit – surviennent des maladies, dérèglements, parce que les rapports entre les « composants » sont faussés ou parce que l’un des trois est affaibli. Elle a établi que lorsque des énergies ne peuvent s’exprimer de façon positive, non seulement elles ne servent plus mais encore elles se retournent contre l’homme, nuisant y compris à ses organes corporels. Les écrits attribués à Hildegarde sont donc une invitation pour les naturopathes pour leur faire redécouvrir la valeur des aliments et condiments dans le soin apporté aux malades.
C’est par ses 3 sentiers que s’exerce ainsi la vie de l’homme. L’âme vivifie le corps et donne souffle aux sens; le corps attire l’âme et lui ouvre les sens; quant aux sens, ils touchent l’âme et sont liés au corps.
Naturopathe avant l’heure :
On l’a vu précédemment, Hildegarde établit la santé physique, psychique ou spirituelle qui anime tous les êtres et tout dans l’être. Et c’est dans la nature qu’elle puise son inspiration. Au niveau individuel, elle a proposé un régime de vie, une alimentation, un ensemble de soins qui visent à rétablir la santé dans l’organisme. Par la musique, le théâtre, la connaissance des plantes et tous les arts qui sont des moyens thérapeutiques pour soigner l’homme dans son ensemble, elle tient compte de la personne considérée comme un tout et non seulement comme un ensemble d’organes à réparer.
Les descriptions des plantes médicinales et leur utilisation sont ainsi inscrites dans ses deux œuvres suivantes :
- Le Livre des subtilités des créatures divines ou Physica (1151-1158) (t. I : Les plantes, les Éléments, les pierres, les métaux ; (t. II : Arbres, poissons, animaux, oiseaux)
- Causae et Curae : elle livre ici des recettes de remèdes héritées de l’Antiquité ou recueillies dans l’usage populaire.
Plus que des recettes, c’est une mentalité qu’elle nous transmet directement. La sagesse médiévale suggère alors tout simplement de revenir autant que possible à la nature, de tenir compte des saisons, de varier son alimentation et d’éviter les aliments nuisibles à l’organisme, surtout en grande quantité.
Il suffit de se mettre soi-même à l’écoute de son corps et des besoins….mais attention sans tomber dans le culte du corps. L’aliment n’est plus considéré comme un moyen de couper la faim ou comme un objet de plaisir, mais comme participant au développement de l’être.
Cette relation privilégiée qu’Hildegarde à alors avec la nature, fait beaucoup penser au chaman qui sent que la nature est habitée continuellement par des flux invisibles.
Voici quelques citations inspirantes d’Hildegarde de Bingen :
« L’homme est immense par les énergies de l’âme. » « L’âme de l’homme porte en elle une symphonie et elle symphonise tout.
« Le corps de l’homme et ses actions servent au maintien de l’homme, alors que l’âme édifie l’homme intérieurement »
« Le corps est l’atelier de l’âme où l’esprit vient faire ses gammes »
« Ne crains pas tant, car Dieu ne cherche pas toujours le céleste en toi ! »
« L’humilité et la charité sont plus brillantes que les autres vertus. L’humanité est comme l’âme et la charité comme le corps, elles ne peuvent être séparées l’une de l’autre, elles opèrent ensemble ».
Extrait du Scivias : « Les herbes et les plantes abondent sur la terre et chacune émet un parfum délicieux, tandis que chaque pierre précieuse dispense son éclat à toutes les autres. La création toute entière aspire à l’affection et à l’amour, elle se tient au service de l’humanité et donne le meilleur d’elle-même généreusement, sans rien attendre en retour. Je suis comme la rosée, dotée d’une puissante énergie de vie, un doux remède pour chacun, mon secours. J’existe depuis l’origine de la vie, depuis que le monde est créé. Mes yeux voient sans cesse ce qui doit être vu. Je me sens responsable et je guéris les malades, je suis un doux remède pour tous…je suis la sincère compassion ».
« Comprends, homme, ce que tu es dans ton âme…. »
La lecture de l’oeuvre d’Hildegarde suscite une prise de conscience, l’appel à un développement de la force intérieure, morale et spirituelle. Une intériorité se dégage de ses œuvres et l’on se sent quelque part interpellé aujourd’hui par son message.
Enfin, pour une première approche de ses œuvres, le Livre des Œuvres Divines est bien mais ne commencez pas par le Scivias, plus difficile d’accès.
A lire:
Le temps du cosmos et des images chez Hildegarde de Bingen (revue Images Re-vues)
Hildegarde de Bingen : prophète et docteur pour le troisième millénaire de Pierre Dumoulin
La clôture des merveilles : une vie d’Hildegarde de Bingen de Laurence Nobécourt
Conception et corps féminin selon Hildegarde de Bingen, Laurence Moulinier
Lettres de Hildegarde de Bingen : ce volume contient une soixantaine de lettres de Hildegarde de Bingen.
Hildegarde de Bingen, biographie romancée de Joan Ohanneson
A écouter :
Hildegarde de Bingen avec Lorette Nobécourt : Podcast France Culture, émission « les Racines du ciel »
A visiter :
Les jardins d’Hildegarde : petite entreprise située à Auteuil de chrétiens laîcs et des catholiques motivés qui diffusent le message, la musique, les écrits d’Hildegarde de Bingen.
Un de mes prochains billets sera orienté sur Hildegarde la compositrice car là aussi il y a matière ! A bientôt.
Photo page d’accueil : « Hildegard von Bingen représentée sur un vitrail de l’Abbaye Sainte-Hildegarde d’Eibingen, © Getty / Heritage Images »
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